Mauvaise mère ou mère épuisée ?

Je suis une mauvaise mère, je fais du mal à mes enfants, je n’y arriverai jamais, je n’en peux plus…

Charge mentale, quand tu nous tiens !

Soyons honnête, il arrive à la plupart des mères de le penser et même d’oser le dire parfois. Face à tout ce qui leur incombe, cette fameuse « charge mentale » qu’elles doivent supporter, allant de l’éducation (heureusement de plus en plus partagée avec le père), à l’entretien de la maison, aux activités à organiser, aux devoirs à surveiller, face à tout ce qui est la vie de leur enfant et quel que soit l’âge de celui-ci, nombreuses sont celles qui sont à la fois surinvesties et dépassées.

Et qui « craquent » parce qu’elles n’en peuvent plus, en font trop, s’en imposent trop, n’arrivent pas à demander de l’aide, ou encore parce qu’au-delà de leur volonté de faire le mieux possible, leur enfant n’est pas comme elles l’imaginaient. Surcharge de stress et d’énergie à dépenser, différences entre l’enfant rêvé et celui qu’elles voient grandir chaque jour, certaines mères s’effondrent et se désespèrent. Se rajoutent à cela une crainte et une culpabilité, celles de ne pas savoir aimer, ne pas savoir être mère, elles qui s’étaient promis d’être patientes, bienveillantes et aimantes.

Le piège de la perfection

Que ce soit vrai ou imaginaire, elles se sentent montrer du doigt et jugées comme telles : mères indignes, mauvaises mères. Le plus terrible est qu’elles finissent par le croire, et, pour certaines, par adopter implicitement des comportements justifiant ces mauvais jugements : convaincues de ne pas savoir faire, elles baissent les bras et sont dites négligentes ; anxieuses face à tout ce qu’elles perçoivent comme danger, elles cherchent à protéger leur enfant, au risque de l’étouffer ou de l’empêcher à faire ses apprentissages et expériences ; en cherchant à ne pas tyranniser, elles vont se vouloir trop proches, trop « copines » et oublient tout cadre et tout repère.

Il est grand temps de se rassurer. On ne naît pas mère, on le devient. On le construit chaque jour, et ce qui est valable un jour ne le sera peut-être plus le lendemain. Et pour chaque enfant, autant de particularités, autant de différences, autant de moments singuliers à partager, autant de temps particuliers pour accueillir l’enfant et l’aider à grandir au sein de sa famille et plus largement, au sein de la société.  D’une certaine manière, la mère et l’enfant vont grandir ensemble, et se construire ensemble.

Nous prônons à très juste titre les mérites de la bienveillance, de l’éducation non violente et de la psychologie positive. Nous sommes aujourd’hui informés de toutes les conséquences de ces méthodes éducatives – aujourd’hui dépassées – privilégiant le contrôle et la répression à l’accompagnement, l’information et la validation de l’enfant. Mais parfois et sans mauvaise intention ni volonté de nuire, il y aura un geste, une parole, un regard inadaptés.

Est-ce grave de se tromper ? Est-ce grave de ne pas toujours savoir quoi faire ou dire, de ne pas toujours être en forme, de s’énerver parfois, d’avoir l’air fatigué ou triste ? Non ! Ce n’est pas grave d’être humaine, c’est-à-dire imparfaite, avec une réalité à considérer, des obligations à assumer, mais aussi des émotions qui vont s’exprimer, qui peuvent être débordantes par moments. Ce n’est pas cela qui fera de vous une mauvaise mère ou mettra vos enfants en danger.

Ne pas confondre mère épuisée et mauvaise mère

En revanche, ne pas en être consciente ou le refuser, ne pas se poser de question ou repousser les remises en cause ou les interrogations, ne pas prendre le temps d’observer son enfant en tant qu’individu à part entière mais penser détenir un savoir et donc un pouvoir sur l’enfant fait naître le danger, fait apparaître un risque et même une amorce de maltraitance. Imaginer que le conseil extérieur est une critique, croire que l’avis d’un tiers a pour objet de dénigrer la mère souligne une difficulté, celle de cette mère justement à évaluer avec justesse l’amour, l’affection, le soin, la tendresse, la protection, le cadre et la sécurité qu’elle doit légitimement apporter à son enfant. Entre la mère bienveillante, épuisée mais aimante, et la mauvaise mère, il y a un fossé.

La maltraitance, qu’est-ce que c’est ?

C’est imposer à l’enfant, sans aucune concession, sans aucune réflexion, ce que vous êtes et ce que vous attendez de lui. C’est oublier que nous avons tous été enfant, avec un seul désir, celui de bien faire ce qui était demandé, pour plaire et être aimé de nos parents. C’est oublier que l’enfant va grandir avec une personnalité et un caractère, des goûts et des envies qui lui appartiennent, avec sa possibilité de réussites, mais également d’erreurs et même d’échecs.  C’est négliger que l’enfant est déjà une personne à part entière nécessitant attention, respect, dialogue, échange, et affection.

Ces oublis sont criminels, pour l’enfant. Ils laissent naître chez la mère des comportements négligents, exigeants, immatures, autoritaires et même tyranniques qui vont aller en se répétant, et qui, par leur répétition, créent des blessures profondes chez les enfants.

Il ne s’agit pas de la vexation de l’enfant qui se voir opposé un « non » légitime, mais de blessures longues à guérir, parfois inguérissables. Il ne s’agit pas seulement de gestes violents, de maltraitances physiques. Il s’agit de cette récurrence de mots ou de silences, de regards ou de soupirs dans lesquels l’enfant s’observe et se voit comme celui qui fait mal, qui dérange, qui ne compte pas, qui ennuie ou qui met en colère.

A ses propres yeux, l’enfant devient « celui qui ne devrait pas être là ». Ce qu’il va en retenir ? Qu’il est coupable, que c’est de sa faute, qu’il n’est pas aimable. Le risque ? Que cet enfant se mette en danger, défiant ainsi une vie qui l’oppresse. Ou encore, qu’il cherche constamment à être aimé, se soumettant au désir et à la volonté de tout interlocuteur. Il pourra aussi se forger la conviction de devoir réparer un lien qu’il croit avoir abimé, sans pouvoir jamais le réparer. Ou reproduire ce qu’il a connu, et d’enfant maltraité, il deviendra maltraitant, ne pouvant imaginer une autre relation possible.

L’avis de la rédaction sur « Les mères qui blessent » par Anne-Laure Buffet

Le livre Les mères qui blessent ( Eyrolles Editeur, juin 2018)  n’a pas pour objet de blâmer les mères, ou de leur faire porter toutes les responsabilités et tous les malheurs du monde. S’il souligne des comportements dysfonctionnels et maltraitants, il donne aussi la parole à celles et ceux qui ont pu en souffrir.
Et surtout, il offre un regard différent sur le lien que chaque femme devrait avoir avec elle-même, sur son désir ou son refus d’être mère, et sur la relation qu’elle développera avec son enfant, pour celui-ci et pour elle-même.

 

mauvaise mère

 

Auteur : Anne-Laure Buffet

Anne-Laure Buffet est thérapeute, formatrice spécialisée dans l'accompagnement des victimes de violences psychologiques. Elle est également conférencière et auteure de "Les mères qui blessent".

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