Si accueillir un enfant est le plus souvent une joie que les mots peinent à décrire, être parent au quotidien peut devenir source de maux, de tensions, et même d’angoisses difficilement partageables parce qu’elles s’opposent à l’amour qu’on voudrait voir être le seul constituant du lien à l’enfant.
Des enfants plus ou moins « faciles »
Tous les bébés ne sont pas faciles ! Certains sont mêmes très difficiles, s’agitent, pleurent, hurlent à la moindre contrariété, luttent contre le sommeil, s’alimentent chichement, mais réclament très souvent le sein ou le biberon, etc.
Autant de petites choses qui, au fils des jours, des semaines, des mois, mettent les nerfs des parents les plus résistants à rude épreuve, épuisent quelquefois les plus solides d’entre eux.
Marie a attendu son premier enfant, longtemps. Tomber enceinte a été pour elle une immense joie. Mais cette joie s’est un peu ternie (et même beaucoup) lorsqu’elle a dû composer avec son petit Tom, un gros bébé compliqué qui hurlait à la moindre contrariété et n’a fait ses nuits (et de courtes nuits de moins de 9h) qu’à deux ans et demi, lorsqu’elle est tombée enceinte du second. Elle se sentait coupable d’éprouver des mouvements violents de rejet de cet enfant qu’en même temps elle aimait profondément. Elle redoutait d’avoir à affronter de nouveau des nuits difficiles avec le deuxième, Rémi. Quelle ne fut pas sa surprise de constater que Rémi était en tous points différent de Tom : un bébé calme, tranquille, qui répond d’un sourire gratifiant à la moindre des attentions de sa maman et la rassure donc dans ses qualités maternelles.
Que nous dit cet exemple ? Eh bien que certains bébés sont constitutionnellement plus difficiles que d’autres et que cette difficulté peut conduire certains parents à un sentiment de « mal faire ». Secondairement, ce sentiment négatif peut entrer dans la boucle relationnelle mère/bébé et participer ensuite à alimenter la difficulté parce que les parents se sentent peu sûrs de ce qu’ils apportent à leur petit.
Savoir s’entourer
Lorsque les jeunes parents sont entourés par des personnes expérimentées, ils peuvent garder plus facilement confiance en eux, parce qu’ils peuvent entendre des paroles rassurantes : « ne t’inquiète pas ça va passer, il va grandir (…). C’est un moment difficile à passer, mais ça ira mieux bientôt. Tu sais, il y a des bébés qui sont comme ça, difficiles, ils nous épuisent, ils nous énervent. On a l’impression de ne pas savoir faire, d’être démuni. Il faut surtout accepter d’être un peu patient, et ça évolue… ». Plus facile à dire qu’à faire, c’est certain. Mais ce sont cependant des paroles qui contiennent un fond de vérité. L’enfant va grandir, se développer, se construire et les difficultés du bébé s’estomper, pour disparaitre complètement dans la plupart des cas.
Mais pour cela une condition est nécessaire : il ne faut pas que les difficultés affectent trop le sentiment de « bien faire » des parents et colorent le lien à l’enfant d’affects trop clivés (amour par moment, haine ou rage à d’autres) qui maintiendraient une tension dans les interactions parents/bébé. Rétrospectivement, les parents se souviennent de ces passages difficiles de la petite enfance, quelquefois avec un peu de nostalgie, et les enfants adorent qu’on leur parle de ce qu’ils ont été comme bébé, des moments difficiles qu’ils ont fait vivre à leurs parents et auxquels leurs parents ont survécu. C’est pour eux la preuve que l’amour triomphe de tout et assure l’indéfectible pérennité des liens.
Gare à la culpabilité !
Être parent aujourd’hui confronte à une autre difficulté à laquelle il convient d’être attentif. Elle ne se loge pas du côté de l’enfant, mais du côté des idéaux que notre société moderne véhicule et auxquels les parents peuvent sans le savoir s’identifier. Le culte de la performance, la recherche de la réussite à tout prix, la conformité à des standards que les modes (et le discours scientifique quelquefois) instillent en permanence, produisent bien plus d’effets délétères qu’ils n’apportent de bienfaits au sein de la famille.
Manon veut une vie saine pour son enfant. Elle prépare tous les jours des plats équilibrés, cinq fruits et légumes. Cette maman très dévouée a aussi des idées très arrêtées sur les choses, pour le bien de son petit Théo, dit-elle. Mais est-elle bien avec son enfant et l’est-il aussi avec elle de son point de vue ? Non, elle constate que non. L’éducation est un combat de tous les jours. Les repas se finissent une fois sur deux en eau de boudin. L’opposition de Théo est permanente et en tout : la toilette, les repas, l’habillement, le temps de préparation pour aller à l’école. En fait, Manon veut tout contrôler, se conformer à ce qu’elle estime être bon pour son enfant. Elle suit les prescriptions de son pédiatre, celle que les médias diffusent, celles qu’elle s’est elle-même forgées au fil de son expérience, de ses rencontres, de ses lectures. Sans vraiment s’en rendre compte, elle met la barre très haut et impose des contraintes non visibles à Théo qui s’oppose, résiste, lutte pour faire entendre maladroitement sa voix, trop vite recouverte par les cris, les pleurs, les hurlements, les punitions. Manon pleure aussi, mais pudiquement, en secret.
Lentement et courageusement, cette maman apprendra à se défaire de ces contraintes, par elle imposées, de ces murs de règles et d’obligations érigés pour se tenir droit et « réussir » dans ce monde de compétition. Pour contenir la peur de rater l’éducation de son enfant, c’est une prison-forteresse qu’elle s’était fabriquée. Elle apprendra à se faire confiance, à faire confiance aussi à Théo, et à se défaire des prescriptions-coaching, des techniques-recettes vendues pour, dit-on, garantir le bien-être du moment ou bien promettre au futur la réussite du petit, qui fera ainsi la fierté de ses parents.
Résister aux injonctions
Les injonctions qui de toutes parts nous sont faites, en matière de santé, d’éducation, de scolarité, celles qui visent la performance, l’excellence, le zéro défaut, tout cela au nom du bien qu’on veut à l’enfant, exercent en réalité une pression insidieuse sur les parents et exacerbent des inquiétudes qui finissent quelquefois par les déboussoler.
Face à la multiplicité des prescriptions éducatives, certains perdent les repères de base, oscillent entre une fermeté extrême, des moments de négociation, des phases de renoncement, ou quêtent dans un savant dosage entre ces diverses positions une alchimie qui jamais ne pacifie les relations avec l’enfant. Et cet enfant à qui l’on se voue ne montre guère de gratitude. Il râle ou pleure à la moindre contrariété ou ne semble guère disposé à y mettre du sien pour arrondir les angles. En réalité, cet enfant est sous pression, comme vous.
Au culte de la vitesse qui voudrait faire de nos enfants des êtres déjà matures, déjà autonomes, préférons celui de la mise en synchronie des rythmes de l’enfant et de l’adulte, celui du pas du marcheur, lent mais assuré, confiant quant au cap qui l’oriente, mais qui sait faire des pauses, revenir sur ses pas si le terrain est trop accidenté, qui reste déterminé même s’il doit prendre des chemins de traverse ou faire face à des imprévus.
Miser sur la confiance
Si les parents ont quelque chose à apprendre, c’est à se faire confiance, mais surtout à faire confiance à l’enfant. Dans la sphère éducative, donner confiance à l’enfant est une question projective (de projet), une affaire de futur.
La confiance est un don et une promesse, celle faite à l’enfant qu’il parviendra progressivement à mieux dompter ses pulsions. C’est accepter que tout ne saurait être canalisé ou canalisable tout de suite. Échouer à voir respecter une règle, à satisfaire une obligation parce que l’envie, les pulsions sont trop fortes, ne saurait entamer la confiance en l’enfant.
La confiance n’est pas un préalable, une condition de l’amour ou de l’estime, elle est une composante de l’amour, un canal de transmission qui dynamise le présent vers un futur. C’est une ouverture aux potentialités, aux possibles, un appel à la créativité de l’enfant pour apprendre à savoir composer avec ses désirs et les obligations de la vie domestique. C’est accepter qu’humaniser un enfant ne saurait se faire par décret ou au pas de charge et qu’il y faut du temps. La confiance est une des composantes du temps humain.
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