Anniversaire de Mimi. J’ai promis un jeu de piste haletant, l’après-midi est pluvieux, et les copains invités me semblent plus énervés encore que ceux de l’année dernière. La plaie.
A un moment, ils doivent affronter Cerbère -c’est moi- pour franchir la porte des Enfers. Gorgés d’honneur, ils me menacent avec leurs armes : des sabres laser, la grande épée de Richard Cœur de Lion, et… un nunchaku –il y en a toujours un pour venir en ninja quand vous avez pourtant précisé « tenue de chevalier exigée».
Mimi est paralysé par la peur d’échouer devant ses amis, Titi s’enivre du bonheur de faire partie de la bande des grands, en faisant le derviche tourneur avec son poignard en plastique.
Cent mille ardents soldats, héros et non victimes
Pris dans un tourbillon d’événements sublimes
Je dois feindre une mort atroce, évidemment : Cerbère qui s’écroule, ça n’est pas rien. Quand vous avez mis le doigt dans l’engrenage du réalisme, il faut que le show soit impeccable, sinon ce sont les huées assurées. Alors, je leur sors le grand jeu, et je rends l’âme dans une grande gerbe d’hémoglobine et de boyaux.
Et les os dispersés du géant d’Epidaure
Et la Crète fumant du sang du Minotaure
Je mesure alors combien notre jeunesse, qui a perdu depuis longtemps le goût du sang et ne connaît plus l’odeur de la poudre, a besoin de peu de choses pour sortir de sa léthargie. Montrez-leur une égratignure, et voilà que leur bestialité se réveille, féroce et bouillonnante.
Les combattants surexcités se toisent un instant avant de se ruer l’un sur l’autre, avec une rage inouïe. Ils s’y croient totalement. Mimi se jette dans la mêlée du haut du canapé en hurlant. Titi est fait prisonnier par le ninja félon, mais ses kilos le sauvent: incapable de le déplacer, son ravisseur l’abandonne sur le champ de bataille. Dans la manœuvre, Titi s’empare du nunchaku, le lève au ciel gonflé d’orgueil et, quasi hystérique, se roule par terre en éructant un surprenant cri de guerre : « Hercule ! Hercule ! Hercule ! » (Traduction: « Moi : Hercule, toi : demi-portion ! »).
Je voyais sa fureur à peine se dompter
Et, pour peu qu’on le pousse, il est prêt d’éclater
Alors que je salue secrètement la performance de ma descendance, je suis touché au flan par le ninja perfide qui n’a aucun respect pour mon statut de reporter de guerre -je filme la scène-. Secoué, je laisse échapper l’appareil et un juron gratiné. Fatal Error.
La meute déchaînée m’entoure en faisant la danse du scalp tout en scandant mes mots regrettables. Défigurés par la cruauté, ils ont flairé ma peur : je suis leur victime sacrificielle. L’un deux s’avance l’écume aux lèvres : c’est Leatherface. J’ai l’impression que je suis en train de vivre une Expérience de Mort Imminente.
Pourquoi diable n’avons-nous pas réussi à inviter de filles cette année ?
Je vois mon profond soir vaguement s’étoiler
Voici l’heure où je vais aussi, moi, m’en aller
Ils m’ont laissé traîner comme une charogne et sont allés aux toilettes ensemble. Une idée saugrenue, qui leur est venue comme ça. Les voilà en train de se soulager, ENSEMBLE, dans une ambiance de franche camaraderie : ils sont tellement fiers de leurs exploits ! Je suis touché par cette communion improbable et virile de ces petits bouts d’hommes qui découvrent la fraternité et l’héroïsme. Entre eux désormais, je crois bien que c’est à la vie à la mort.
Unis par le plus fort et le plus cher lien
Nous sourirons à tous et n’aurons peur de rien
Sal…dorables gosses !
Merci à Hugo, Racine, Corneille, Verlaine et Mimi, 6 ans, et Titi 3 ans, sans qui tout cela ne serait jamais arrivé.
Cet article vous est proposé par Papa Martyr. Retrouvez la suite de ses épopées, avec du sang et des alexandrins ici : http://papamartyr.tumblr.com/